Après le Sénat, l'Assemblée Nationale a adopté hier le volet Hadopi (dit Hadopi 2) concernant la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet et qui vient compléter la loi Hadopi 1 dans ses dispositions non censurées par le Conseil Constitutionnel.
Le texte du projet de loi soumis par le gouvernement et voté par les députés, est très court:
http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0332.asp
Par rapport au texte adopté par les sénateurs, la surveillance des emails est supprimée. Tant mieux.
Le projet de loi doit à présent être validé en Commission Mixte Paritaire et peut donc encore être modifié.
En attendant d'en savoir plus, ce texte, pour être conforme à notre Constitution, devait faire intervenir une juridiction pour la coupure d'internet.
Rappelons en effet que le 10 juin dernier, le Conseil Constitutionnel, tout en validant le principe de la riposte graduée d'Hadopi 1, avait déclaré anticonstitutionnel le fait de permettre à une autorité administrative d'infliger des sanctions (la coupure de la connexion) d'une gravité disproportionnée par rapport au droit fondamental d'expression et de communication dont internet est une composante.
Sur ce droit fondamental, je cite le 12ème considérant de la décision:
"12. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne [ndr: c'est-à-dire internet, mais pas les emails] ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;"
Rappelons aussi que le Conseil Constitutionnel avait validé le principe de la riposte graduée permettant aux ayants-droits de protéger leurs oeuvres au titre du droit de propriété, droit aussi fondamental que le droit d'expression et de communication. Ainsi je cite le Conseil Constitutionnel dans les considérants n°13 à 16 de sa décision: [ndr: si ça vous gave de lire les considérants en entier, vous pouvez sauter directement aux crochets qui les résument...]
"13. Considérant que la propriété est au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figure le droit, pour les titulaires du droit d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ; que la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet répond à l'objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ;
[ndr: le fondement de la sanction, c'est la violation du droit de propriété intellectuelle, qui est reconnu comme un droit fondamental au même titre que le droit d'expression et de communication]
14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;
[ndr: une autorité administrative peut très bien infliger des sanctions dans des conditions bien précises garantissant notamment la protection des droits, parmi lesquels figurent les droits de la défense]
15. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques " ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; que, toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
[ndr: la loi peut parfaitement concilier le droit de propriété avec le droit d'expression et de communication, l'un ne devant pas empiéter sur l'autre]
16. Considérant que les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction, à restreindre ou à empêcher l'accès à internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ;
[ndr: une autorité administrative qui n'est pas une juridiction et dont la compétence s'étend à la totalité de la population ne peut pas infliger de sanction restreignant le droit d'expression et de communication telle que la coupure d'internet]"
C'est donc bien l'auteur de la sanction qui posait problème pour le Conseil Constitutionnel, mais pas le principe de la riposte graduée si la peine est infligée par une juridiction avec toutes les garanties habituelles de protection des droits de la défense, comme la procédure contradictoire, l'intervention d'un avocat, les délais, l'appel, etc.
J'avais écrit déjà (http://delongenlarge.blogspot.com/2009/05/une-riposte-vraiment-graduee.html) que finalement, la loi devait trouver un équilibre entre trois idées force :
- le piratage doit être condamné,
- les utilisateurs doivent accéder facilement à la culture => droit d'expression et de communication
- les auteurs et ayants droit doivent être rétribués justement => droit de propriété
C'est exactement ce que fait le gouvernement dans son projet de loi.
Il a pris acte de la décision du Conseil Constitutionnel et a rédigé un texte qui me semble conforme aux droits fondamentaux d'expression, de communication et de propriété qui fondent notre Société, puisque la peine (qu'il s'agisse de la coupure de la connexion ou de l'amende d'ailleurs) sera justement prononcée par une juridiction.
Dorénavant et pour résumer, la procédure de sanction des pirates est la même que pour les infractions au code de la route (qui peuvent être punies par la confiscation du véhicule, par exemple), sauf qu'on prend moins de pincettes avec le chauffard qu'avec le pirate qui, lui, bénéficie de coups de semonce préalables avant toute peine et ne reçoit pas d'avis automatique d'amende.
Ainsi, le schéma de graduation de la riposte est le suivant:
- email (1er coup de semonce)
- courrier recommandé (2ème coup de semonce)
- et si rien n'y fait, la sanction est prononcée par une juridiction: amende et/ou coupure et/ou prison, selon les preuves dont elle dispose et la gravité des faits notamment.
Et s'il doit y avoir coupure de la connexion internet et pour combien de temps (12 mois maximum), je cite le projet de loi: "la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique. La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile."
Une riposte enfin graduée et respectueuse des droits et obligations de chacun, suite et fin ? Les députés anti-hadopi ont d'ores-et-déjà prévu de saisir le Conseil Constitutionnel. Pourquoi pas, si c'est pour écarter enfin tous les doutes!! Y a de fortes chances que j'y revienne de long en large, donc ;)
Le peuple contre l'esprit de parti...
Il y a 1 jour