Selon Teilhard de Chardin, c'est dans la noosphère que le fruit intellectuel et culturel du génie humain (les idées, les pensées, les consciences, les inventions, les découvertes, etc.) prendrait forme et vivrait à chaque instant.
A sa suite, on a pû considérer que l'homme, au fil de temps, tissait la réalité de la noosphère et lui donnait ainsi une existence concrète mais parcellaire et en sens unique.
Par exemple, en supposant que tout ce qui a été pensé a été imprimé, l'ensemble des livres édités sur Terre pourrait former un corps réel de la noosphère, mais un corps "rigide" figé dans le temps. La noosphère engloberait tout et évoluerait à tout instant, alors qu'un livre, entre deux éditions, ne serait qu'une fenêtre immuable ouverte sur une partie infime de la noosphère à un instant donné.
Avec internet, on pourrait considérer qu'une nouvelle fenêtre s'ouvre sur la noosphère, "dans les nuages" (par référence au cloud computing). Mais une fenêtre dynamique par laquelle on pourrait à terme entrevoir l'ensemble de la noosphère et interagir avec elle.
C'est vrai qu'on trouve déjà beaucoup de choses sur internet, qui évolue à tout instant. C'est un euphémisme.
Le volume des données stockées sur les serveurs publics, que ce soit pour le "world wide web" ou pour d'autres applications d'internet ouvertes au public, ne se compte pas en gigaoctets, chiffre qu'on appréhende à peu près facilement, mais certainement en dizaines (ou centaines ? ou plus ?) de petaoctets (1Po représente 1 million de Go ou presque 20.000 disques Blu-ray double couche).
Le seul web public (environ 210 millions de sites en janvier 2010, source Netcraft) comporte plusieurs petaoctets de données (une dizaine ?) et ne cesse de s'agrandir et de se contorsionner à vitesse grand V.
Ne parlons même pas du web privé (sites privés, intranets, etc.) dont on estime qu'il représente 99% du web total!
Et le web lui-même n'est qu'une petite partie de l'internet global... Au final, tout l'internet devrait se mesurer en yottaoctets (la NSA elle-seule, le service central de sécurité des Etats-Unis, manipule près d'un Yo de données!).
Quand on sait que 20.000 milliards de disques Blu-ray double couche ne sont pas de trop pour stocker 1 Yo, vous avez encore toute votre tête ? Pas trop le vertige ?
De toute façon, on n'est même pas sûr des chiffres avancés: ils varient selon les méthodes utilisées. Alors disons simplement qu'internet est une bibliothèque dynamique, omniprésente et colossale.
Et malgré sa taille incommensurable et son développement ultra-rapide, cette bibliothèque n'est pas omnisciente. Elle est encore loin de refléter la totalité de la noosphère.
Parce que tout n'y est pas encore! Il manque beaucoup de choses et, notamment, la très grande majorité - pour ne pas dire la quasi-totalité - des ouvrages imprimés sur Terre depuis l'invention de Gutenberg.
Pour combien de temps ? Et chacun y trouvera-t-il vraiment son compte ?
Google a numérisé presque 10 millions d'ouvrages dans le cadre d'accords d'exclusivité (parfois pour 25 ans) avec de nombreuses bibliothèques, mais récemment a renoncé à scanner les livres "non anglo-saxons" face à la levée de boucliers des éditeurs et des Etats européens.
Microsoft, Yahoo, Amazon et d'autres numérisent aussi à tour de bras au sein de l'Open Book Alliance et tentent de contrer Google dans ses velléités d'hégémonie.
Et la France dans tout ça ? Et l'Union Européenne ? Parce qu'il n'y a pas que des livres anglophones...
Alors qu'outre-atlantique, le combat oppose des entreprises privées, en France et en Europe, c'est au niveau des Etats que ça se passe.
Le tout récent rapport Tessier fait état de 145.000 livres numérisés par la BNF (seulement!), et préconise une accélération très rapide de la numérisation sur des bases libres, en tout cas sans exclusivité au profit de tel ou tel acteur.
Dans l'Union Européenne, on en est encore à envisager des normes et une législation en matière de numérisation pour éviter le monopole.
On le voit, tout le monde n'est pas au même niveau, alors que l'enjeu des prochaines années sera l'intégration numérique du patrimoine intellectuel et culturel mondial sur internet et surtout la définition des conditions d'accès de chacun à ce trésor dématérialisé.
De même que l'imprimerie a provoqué la révolution culturelle que l'on connaît par la diffusion de masse des écrits, internet conduit en ce moment à une révolution comparable dans sa nature mais d'une ampleur bien plus vaste.
Pour dire les choses simplement, cette révolution numérique dont nous n'avons vu que les balbutiements ouvre une nouvelle ère de l'humanité, celle de la noosphère incarnée.
Et la suite du programme, une fois la numérisation des livres achevée (ou en même temps) ? La numérisation en temps réel des pensées et des consciences.
Les archéologues du futur verront certainement dans nos avatars et en Twitter, ce que nos archéologues voient dans les ossements et les vestiges de huttes des hommes pré-historiques.
"L'avatarisation" de l'homme sur internet est en marche :D
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